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INTERVIEW : Obèse : victime plutôt que responsable... !

Publié par Dr Philippe Presles : adaptation Danielle Pickman, journaliste santé le 15/10/2002 - 00h00
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Les Américains se rebellent contre l'obésité, Mac Donald est attaqué en justice. Parallèlement, les Belges continuent à s'américaniser et l'obésité gagne du terrain chez nous aussi. La cuisine familiale recule pour faire place aux plats cuisinés, souvent bien trop caloriques. Comment se présente l'avenir ? Posons la question à Paule Neyrat, diététicienne.

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L'obésité est un fléau de longue date aux Etats-Unis. Nombre de mesures (dont la déduction fiscale des dépenses médicales pour maigrir !) et de campagnes d'information sont restées sans grand résultat. Récemment, le Président Busch a incité les Américains à se prendre en mains et à lutter contre leur surpoids.Les plaintes déposées auprès de différentes chaînes de fast-food par un groupement d'obèses aux Etats-Unis mettent une fois de plus l'accent d'actualité sur ce triste phénomène. En Allemagne, il y a quelques mois, un juge a attaqué Mars et Coca-Cola, les estimant responsables de son diabète (le juge n'était pas un mince !). Il a été débouté de sa plainte. Paule Neyrat trouve que ces procès, comme ceux faits auprès des fabricants de tabac, sont assez lamentables. " Ces actions me gênent car elles sont pour moi la négation du libre arbitre. Personne n'est obligé de fumer, personne n'est obligé de trop manger. Que l'on fasse un procès parce que l'on a été contaminé par la dioxine ou l'amiante, certes, on l'ignorait. Mais quand on mange trop et mal, on ne peut pas l'ignorer. C'est un choix personnel. On dirait que ces obèses le sont devenus "à l'insu de leur plein gré". Cela dit, l'obésité n'est pas un fait nouveau aux Etats-Unis. Il y a une bonne trentaine d'années qu'on nous la cite en exemple à ne pas suivre. Et maintenant, nous arrivons en Belgique au même triste constat. Les pays occidentaux et riches, ont été les premiers touchés par cette épidémie. Mais, on s'apercoit qu'elle gagne les pays autrefois appelés "en voie de développement". La croissance de l'obésité va de pair avec la montée du niveau économique, en même temps qu'elle touche les classes les plus pauvres. "

e-sante : L'obésité devient un fléau avec son cortège de diabètes et de maladies cardiaques. Comment en sommes-nous arrivés là ?Paule Neyrat : Nous en sommes arrivés là, car peu à peu nous avons pris les mauvaises habitudes américaines. Elles se traduisent d'abord par une alimentation déséquilibrée, où les lipides (le gras) sont prédominants, ensuite par une sédentarité de plus en plus prégnante. L'association des deux est obligatoirement synonyme de kilos en trop. On a appelé l'obésité et son cortège composé des maladies cardio-vasculaires, du diabète gras et de l'hypertension, "maladies de civilisation". C'était une bonne définition. Nous vivons dans une société de consommation qui offre de multiples avantages de confort de vie, mais nous en payons les conséquences. Il est fort agréable d'être bien chauffé, climatisé partout (y compris dans sa voiture), de se transporter rapidement d'un point à un autre, sans fatigue ou encore de se distraire à domicile devant la télé. Le travail s'est de plus en plus mécanisé. Ainsi, la dépense énergétique moyenne ne cesse de diminuer car tout, absolument tout, concourt à une moindre dépense calorique. Résultat ? Si on est soucieux de sa santé, on doit s'obliger à avoir une activité physique dépensière de calories. Et souvent même, payer pour cela si on l'accomplit dans un club de sport ! On dépense de l'argent pour faire du step ou courir sur un tapis, tandis que l'on prend l'ascenseur pour éviter les escaliers et sa voiture pour aller acheter sa baguette de pain… C'est un des aspects de notre société qui souvent manque de bon sens. En même temps, tout se compose et s'organise autour de nous pour que nous mangions le plus possible et le plus souvent possible. L'alimentation s'est véritablement industrialisée : j'enfonce des portes grandes ouvertes en disant cela. Mais c'est une des raisons essentielles de l'épidémie d'obésité. Nous sommes dans une économie de marché et on ne peut reprocher à l'industrie agroalimentaire de faire son boulot. Elle propose une foule de produits alléchants et pratiques mis au point après des études marketing démontrant qu'ils répondent aux attentes des consommateurs. C'est par exemple le cas des produits de "snacking", dont le marché se développe de plus en plus. Des distributeurs sont installés partout, dans toutes les entreprises, sur les quais du métro : ils étaient rares, il y a encore dix ans.Tous les industriels, petits et grands, même ceux qui ont un service nutrition, qui emploient des diététiciens, savent que le grignotage est à l'origine du déséquilibre alimentaire, d'une surconsommation de calories grasses et sucrées. Mais cela ne les empêche pas de mettre ces produits sur le marché et d'investir dans la pub pour qu'ils se vendent encore plus. Notre société, selon les gens de marketing, évolue de plus en plus vers un comportement nomade : nous voulons pouvoir manger et boire partout et à tout moment. Est-ce que nous le voulons vraiment ou bien ce comportement est-il créé par le marketing ? On ne peut leur demander, à ces industriels, d'avoir la moindre notion d'éthique : leur job, ca n'est pas de préserver la santé, c'est de fabriquer, de vendre et de gagner de l'argent. Nous sommes donc pris dans cet étau : on bouge de moins en moins et on mange de plus en plus. Et en plus, on aime ca ! Rester devant la télé en grignotant, c'est plus cool que d'aller crapahuter quelque part !

e-sante : Certes, mais certaines personnes sont prédisposées à l'obésité. On a mis en évidence le rôle de différents gènes et plus récemment d'une hormone de satiété. N'est-ce pas cela la cause de l'obésité ?Paule Neyrat : Il est certain que différents gènes sont impliqués dans la survenue de la prise de poids. Il est certain qu'à calories égales, certains grossissent et d'autres non. La justice n'existe pas dans le domaine nutritionnel. Les études des vrais jumeaux (identiques génétiquement) ont démontré la concordance de leur poids et de leur taille, même quand ils avaient été élevés dans des familles adoptives différentes. Quand ils ont une tendance à l'obésité, cela vient de leurs parents biologiques, pas des parents adoptifs. Si on les suralimentent, ils grossissent de la même facon. Ce qui démontre que la réponse du corps à un régime riche en graisses est un trait génétiquement déterminé. Certaines personnes résistent à l'obésité, alors que d'autres sont très sensibles à un régime obésogène.L'homme préhistorique se nourrissait bien, il avait peu de carences. Les périodes de disettes et de pléthores sont apparues au cours du néolithique, avec la sédentarisation et l'apparition de l'agriculture. Ceux qui ont résisté étaient certainement plus aptes à stocker pendant les périodes fastes et à économiser leur énergie lors des temps de vaches maigres. Du coup, leurs gènes "stockeurs" ont pris plus d'importance. Et il est plus que probable que nous portions cette hérédité. Cependant…. il y a cinquante ans, le patrimoine génétique de l'humanité était le même. Et il y avait moins d'obèses. Donc, ca n'est pas la faute des gènes, mais des conditions environnementales. Elles sont les grandes responsables de l'épidémie actuelle.

e-sante : Retrouver le chemin des marchés et de la cuisine est pour vous la meilleure des solutions. Finalement, c'est une question de mode de vie ?Paule Neyrat : C'est essentiellement une question de mode de vie, mais pas seulement d'alimentation. Retrouver le chemin des marchés certes, mais en y allant à pied ! Il faudrait marcher plus, au moins 1 heure par jour. C'est-à-dire oublier un peu sa voiture. C'est tout bénéfice, non seulement pour la stabilité du poids mais aussi pour le cholestérol et autres joyeusetés, de nombreuses études le démontrent. En plus, on contribue ainsi à moins polluer l'atmosphère.Manger trois fois par jour un repas équilibré, avec suffisamment de pain de facon à avoir son quota de glucides lents (ils doivent apporter la moitié des calories quotidiennes), c'est le secret de l'équilibre alimentaire et en conséquence de la stabilité du poids. Après un déjeuner suffisamment riche en glucides, on n'a pas de petit creux qui incite à grignoter un produit gras et sucré, on ne rentre pas affamé chez soi avec l'envie de dévaliser le frigo. Les plats industriels, toujours trop gras, doivent être réservés aux dépannages. On reproche beaucoup aux femmes qui travaillent de ne plus faire la cuisine. Je crains que ce soit un faux procès. Il n'y a jamais eu autant de magazines consacrés à la cuisine (et ce ne sont pas les hommes qui les achètent !), des chaînes de télévision y sont consacrées.En fait, on cuisine trop gras. On y est largement encouragé par la médiatisation des "bonnes graisses" telles que celles de l'huile d'olive ou des margarines anti-cholestérol. Au risque de choquer, je préfère que l'on déglace la poêle de son bifteck avec un peu de vin blanc et qu'on y ajoute une cuillère de crème fraîche (20g soit 6g de lipides) de facon à se faire une bonne sauce que l'on saucera avec du pain plutôt que de manger un bifteck grillé avec une salade (qui apporte 10 à 15g de lipides grâce à l'huile d'olive) et pas de pain !On a encore beaucoup de travail sur la planche en matière d'informations culino-nutritionnelles. Il faudrait aussi arriver à préserver les adolescentes et les jeunes femmes des régimes aberrants pour perdre quelques kilos en vitesse. Elles les reprennent inévitablement et, en accumulant ces régimes, elles courent un grand risque de devenir obèses. Mais comment faire ? On rêve de vraies campagnes de prévention, intelligentes.

e-sante : L'enfance n'est pas épargnée. Quels sont vos principaux conseils pour les mamans et les papas soucieux de la santé de leurs enfants ?Paule Neyrat : C'est vraiment dès l'enfance et même la toute petite que l'on peut faire de la prévention. Quand de bonnes habitudes alimentaires s'installent, elles durent toute la vie. Un enfant règle spontanément son alimentation de façon équilibrée. Quand il n'a plus faim, il s'arrête de manger. En effet, nous sommes parfaitement équipés pour nous nourrir seulement à notre faim et pas au-delà. Nous disposons de relais d'informations physiologiques, métaboliques, cérébraux qui gouvernent notre appétit. Mais très vite, nous ne savons plus les écouter.Quelques principes de base :

  • Le premier principe : ne jamais forcer un bébé à terminer son biberon, ni un enfant à finir son assiette. Sinon, on perturbe cet équipement, tant sur le plan physiologique que sur le plan psychologique. L'enfant va manger sans faim pour faire plaisir à Maman ou à Papa. Et il gardera cette habitude, il ne saura plus distinguer s'il a vraiment faim ou pas. C'est le cas de bien des obèses : ils mangent sans faim car ils ne savent plus depuis longtemps reconnaître la sensation de satiété.
  • Le deuxième principe : imposer quatre repas (petit déjeuner, déjeuner, goûter et dîner) à des heures régulières et ne pas tolérer qu'un enfant grignote n'importe quoi à n'importe quel moment. Or, c'est hélas une habitude que trop de parents donnent à leurs enfants, habitude largement encouragée et même suscitée par la médiatisation des produits. Ces grignotages sont très pervers : ils apportent trop de sucre et ils coupent l'appétit.L'enfant n'a plus assez faim lors du repas pour manger les aliments contenant les éléments nutritionnels nécessaires à sa croissance et à sa bonne santé. La carence en fer est largement observée chez les enfants : elle va toujours de pair avec une alimentation déséquilibrée trop riche en sucres et en graisses. Il en est de même pour les boissons sucrées : un enfant a besoin d'eau. Pas d'eaux sucrées et aromatisées qui le déséquilibrent. Une boisson sucrée ou un produit sucré devraient rester une exception : une récompense, une fête.
  • Le troisième principe : donner l'habitude à son enfant de marcher, dès qu'il a acquis cette faculté. Quand je vois un enfant de 2 ans dans une poussette avec une sucette ou un pain au chocolat à la main, j'ai immédiatement l'image de l'obèse qu'il risque de devenir ! L'école est rarement loin de la maison. Il doit y aller à pied le plus tôt possible. Dès qu'il est en âge, et cela peut être à 4 ans, il faut s'organiser pour qu'il pratique un sport. Enfin, les séances télé-biscuits-coca sont vraiment à proscrire. Ca, c'est le surpoids assuré. Je préfère cent fois les jeux vidéo et l'ordinateur à la télé : là, ils ont les deux mains occupées, ils ne peuvent pas manger en même temps !
Un enfant qui bouge et qui a de bonnes habitudes alimentaires ne devient pas obèse.
Publié par adaptation Danielle Pickman, journaliste santé le 15/10/2002 - 00h00
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